L'indolence du polygraphe

Publié le par Pascal Dufrénoy

mercredi 4 février

 

                

 

                C'est souvent ainsi que cela débute... C'est un matin d'hiver comme bon nombre de matins d'hiver passés. On se réveille avec ses vieilles douleurs diffuses, tout étonné d'être aussi fourbu dès le lever du lit. On est étonné et vaguement déçu d'être ainsi... Pourquoi se pose-t-on ces questions existentielles alors que tout semble aller son train, cahin- caha ?  Peut-être parce que depuis quelques temps, nous apprenons des nouvelles funestes des gens de notre entourage, ici une hospitalisation, là un départ prématuré chez les grands indiens...  On est étonné et vaguement peiné d'être ainsi... Parce que dans notre tête, nous avons toujours 17, 18 ou 20 ans et que si les illusions s'enfuient et que le corps parfois lâche, il nous reste une tendresse, un pétillement diffus, le reliquat fragile d'une époque un peu champagne. Champagne, chantait l'ami Higelin... Trinquons alors, puisqu'il nous faut trinquer.

                C'est souvent ainsi que cela débute... On se surprend à être en rogne, la colère sourde en permanence, contre tout et rien, des bêtises le plus souvent, des petites plaies et bosses faites à notre ego, si exclusif et si sensible.... Parce que le monde est malade, mais s'est-il déjà senti bien? Nous sommes malades, enfin nous le croyons...

                Comme mes vieux compagnons les garçons perdus du Pays Imaginaire, j'ai perdu mes billes et la clef du coffre des merveilles. C'est un scénario traditionnel, j'ai tendance comme tout bon occidental à pleurer sur moi-même, certainement parce qu'avec l'âge, mon monde devient de plus en plus petit.

                Ce qui me  manque véritablement, c'est la présence de l'humain. Comme tout flâneur qui se respecte, j'ai fait hier un détour par le marché de Wazemmes qui s'installait dans le frisquet du matin. Des rires et des cris, des dialogues et des tapes dans le dos, nous ne vieillissons pas tous à la même vitesse... Pourtant, ces gens ont des soucis et de bien plus gros soucis que moi ; j'ai entendu ou lu dernièrement cette phrase sibylline et pourtant si actuelle :

"La misère, ici... C'est quand on a pas de petite cuillère pour manger son yaourt..."

 

                C'est souvent ainsi que cela débute... Voilà... Je n'ai pas de cuillère pour manger mon yaourt... A  force de mettre des freins pour ne pas être hors du wagon, je me suis englué dans un quotidien des plus conformes. Pourtant, je fais un beau voyage, il me suffit de penser à ces grandes demoiselles qui vivent à la maison, ces deux filles qui ponctuent mon voyage d'escales toujours plus étonnantes. Les enfants, les siens où ceux des autres, ceux que l'on fabrique où ceux que l'on arrache à la sauvagerie du monde, qu'importe… Les enfants sont la justification de bien des choses et nous aide à rester de très vieux petits garçons ou de très vieilles petites filles.

                C'est souvent ainsi que cela commence... La mémoire qui fout le camp! La colère qui s'installe! Les couleurs qui deviennent plus ternes, comme une gigantesque et lente glissade vers l'abîme! Je crois que le début de la vieillesse, c'est cela, oublier tout à coup le petit gars où la fillette que nous avons été, perdre la clef du coffre des merveilles, ne plus s'aimer, alors ne plus aimer. Ah! Ferré! Tu l'as si justement mais si terriblement chanté, avec le temps va, tout s'en va...

                   Mais... Mais... Pourquoi ne pas essayer de contrecarrer la bonne marche du sablier, tout au moins le ralentir, enfin se donner l'illusion de le ralentir... C'est un beau combat puisque c'est un combat perdu d'avance, mais les causes utopiques ont toujours été de mon goût! Pour être heureux, il faut finalement se battre, et souvent de manière outrancière en chassant les vieux démons, et pour cela, nous avons besoin des autres, les gentils et même les moins gentils, ces derniers ont le mérite au moins de nous montrer dans quels travers ne pas tomber...

                    Retrouver une manière de naïveté qui nous permet de survivre au quotidien, les tableaux naïfs sont les plus lents à sécher, c'est ce que j'aime à croire, parce que leur peinture est fraîche... On se raconte les histoires que l'on peut, n'est-ce pas?

                   Ne pas, ne jamais se prendre au sérieux, il y a l'éternité pour cela...

                    C'est parfois ainsi que cela cesse... C'est parfois ainsi que cela  recommence... un matin d'hiver, vous vous réveillez, vous avez toujours vos vieilles douleurs, mais vous êtes en vie! Dans le sensible et dans le réel, vous regardez les gens avec un oeil différent et malgré le froid, malgré la courbature, sur votre visage une ombre glisse au sol, et le pli discret mais amer qui s'est installé au coin de vos lèvres se transforme imperceptiblement en sourire.

                    C'est parfois ainsi que cela commence...

 

 

Publié dans Chroniques

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